• MOHAMED RAHANE DIT « DHIB », L’ENFANT DE BENI FEN

    :

     C’était une fin d’après midi du mois de Mai 1958. Il est dix-huit

     

    heures trente. Les hirondelles survolent en rase mottes le boulevard

     

    de Taza et leurs crissements aigus annoncent le début d’un

     

    heureux printemps pour les uns et la fin de celui du fidaï Rahane,

     

    celui qui n’allait pas tarder à entrer par la grande porte des martyrs

     

    pour rejoindre ceux qui ont choisi le sacrifice suprême pour

     

    que vive l’Algérie libre et indépendante. Cette journée commença

     

    très tôt le matin et a découvert deux jeunes hommes enthousiasmés

     

    par la vengeance longtemps ruminée.

     

    Les jeunes hommes, rasés de prés, étaient adossés au mur, à l’entrée

     

    du village nègre où Mohamed habitait avec ses vieux parents,

     

    ses frères et soeurs. Il est habillé avec recherche. Les cheveux

     

    gominés, comme c’était la mode, lui sied avec une tenue

     

    simple de la saison. Le jeune homme porte un pantalon d’un joli

     

    bleu nuit que faisait assortir une chemise à manches longues d’un

     

    blanc immaculé. Le passe de la ceinture du pantalon est agrémenté

     

    d’un joli porte clés représentant une bouteille de limonade

     

    « Spips ». Ses vêtements sont usés mais propres. Mohamed Rahane

     

    dit « Edhib », c’était le nom du jeune homme, est employé

     

    serveur chez Mohamed Tounssi (marchand de beignets). Il a été

     

    auparavant garçon à tout faire au café-bar Polo avec son frère

     

    Said. L’établissement était connu aussi sous l’appellation café-bar

     

    Marty. Ce lundi est son jour de congé et il semble attendre quelqu’un.

     

    Mohamed s’efforce d’être serein et désintéressé. En vérité,

     

    il éprouve une certaine anxiété. Il sait qu’il ne va pas attirer l’attention

     

    des militaires qui vont bientôt passer par le boulevard dans

     

    leur half-track. Ils connaissent Mohamed mais ils s’entêtent toujours

     

    à l’apostropher sous l’appellation qui l’a toujours révolté :

     

    Bougnoule. Ce lundi, Mohamed va leur réserver une cinglante

     

    réponse. Ce jour ne ressemble pas aux autres Lundis. C’est un jour

     

    exceptionnel qui va faire de lui un héros. Il va le booster parmi

     

    ceux qui ont dit non à la dictature, à l’avilissement, au déshonneur.

     

    Ce dernier mot lui fait horreur et réveille en lui un souvenir

     

    qui ne s’éteindra jamais. C’était le jour où, lors d’une perquisition

     

    chez eux, un harki eut un comportement qui ne prêtât à aucune

     

    équivoque à l’égard de sa vieille mère. Voulant s’interposer, Mohamed

     

    reçut une volée de coups de crosse et de rangers. A partir de

     

    ce jour, il ne vivait que dans le rêve de prendre les armes contre

     

    ceux qui ont attenté à l’honneur des siens.

     

    En fait, cela faisait longtemps que Mohamed prit conscience de la

     

    réalité nationale. A partir de ce jour, il s’était démené comme un

     

    diable pour entrer en contacte avec le maquis. Mais comment

     

    faire ? Comment percer le secret ? On n’entre pas en contact avec

     

    les moudjahidine comme on entre dans un moulin.Et un beau

     

    jour l’occasion s’était présentée à travers son voisin Larbi habitant

     

    en contrebas du mausolée de Sidi Abdelkader. Larbi avait un de

     

    ses oncles au maquis. Leur maison était un refuge qui recevait

     

    presque régulièrement la visite demaquisards.

     

    Quelques jours après avoir mis dans la confidence son voisin, Mohamed

     

    fut reçu par l’oncle de ce dernier qui s’avérait être le responsable

     

    militaire d’un secteur de la Région.

     

    -« Tu seras le bienvenu parmi nous mais pour cela tu dois t’acquitter

     

    du tribut de la témérité et nous prouver ton courage en procédant

     

    à un attentat en ville » lui disait le vieuxmaquisard.

     

    Il lui apprit le maniement des grenades, et lui laissa le soin d’arrêter

     

    lui-même le déroulement, le lieu et sa retraite vers les monts de

     

    Ghilès.

     

    Durant plusieurs jours, Mohamed « Edhib » vivait renfermé sur luimême,

     

    secret, taciturne. Les ordres du responsable ALN étaient

     

    stricts. Il ne devait mettre personne au courant de son intention de

     

    rejoindre le maquis, encore moins le projet d’attentat. Même pas

     

    sa mère qui ne devait en aucun cas être mise dans la

     

    confidence. L’instinct maternel pouvait faire échouer

     

    non seulement l’opération, mais mettrait en péril l’organisation

     

    OCFLN du village nègre.

     

    Mohamed avait un ami intime, Abdelkader Tabouni, qui,

     

    lui aussi, était candidat au maquis. Il devait le seconder

     

    dans cette téméraire opération.

     

    « Edhib » avait alors le choix entre l’attentat au café Marty

     

    ou l’half-track de patrouille. Il aurait voulu ardemment

     

    le premier lieu puisqu’il le connaît dans ses moindres

     

    recoins et connaît les habitudes des consommateurs,

     

    surtout militaires. Une grenade défensive dans une salle

     

    bondée de militaires un samedi était le rêve de Mohamed.

     

    Mais leur repli vers le village nègre sera impossible

     

    à cause de la herse de barbelés qui bloque la rue du

     

    guetto indigène.

     

    Il opta alors pour l’alf-trak qui faisait régulièrement ses

     

    rondes à travers les rues de la ville. Mohamed et Abdelkader

     

    arrêtèrent un jour : le lundi et leur repli : le village

     

    nègre et de là vers lesmonts Ghilès.

     

    En cette fin de matinée de lundi, « Edhib » était dans la

     

    fiévreuse attente d’un inconnu qui devait, dans un moment,

     

    l’accoster car l’heure du rendez-vous a été dépassée

     

    de plusieurs minutes. Le véhicule militaire allait passer

     

    entre dix huit-heures et dix-neuf heures. Le jeune

     

    homme commençait visiblement à s’impatienter et à être

     

    envahi par une certaine appréhension. Dans sa tête se

     

    télescopaient plusieurs questions.

     

    « La mission a-t-elle été reportée ? Annulée ? Et si l’agent

     

    de liaison a été arrêté ? Sous la torture, il va sûrement me

     

    donner et je n’aurai pas cette joie d’accomplir ma mission.

     

    Non, je dois la réussir, il le faut. Jusqu’à quand allais-

     

    je subir les exactions et les insultes des militaires français

     

    et des harkis sentant le mauvais vin ». Mohamed se

     

    retournait fébrilement derrière lui comme si son contact

     

    allait sûrement venir du village nègre. Il ne pouvait que

     

    venir de là, car au-delà de ce ghetto c’est la campagne

     

    avec son relief très accidenté qui mène directement à la

     

    forêt de Ghilès.

     

    Il était perdu dans ses réflexions lorsqu’une personne

     

    inconnue déposa à ses pieds une musette en marmonnant

     

    un mot convenu entre eux. C’était la personne tant

     

    attendue.

     

    Mohamed ramassa discrètement le sac. Il avait une

     

    demi-heure devant lui pour commettre l’attentat. Il remonta

     

    alors nonchalamment la pente jusqu’à sa masure

     

    et pénétra seul dans une sorte d’enclos à l’abri des regards.

     

    Il vérifia la grenade dite « 40 morceaux » et la mit

     

    au milieu d’un tas de sable emballé dans du papier kraft

     

    ressemblant à l’emballage d’un kilo de sucre et reprit son

     

    poste de guet. Said et Abdelkader sont arrivés à un

     

    point de non retour et attendaient maintenant avec

     

    patience leur proie en acier. L’attente commençait à devenir

     

    insoutenable. Elle ne devrait surtout pas se prolonger

     

    au-delà de dix-neuf heures car l’heure du couvre feu

     

    approche.

     

    Le premier tintement de cloche de l’horloge de l’église Sainte Anne des Cèdres annonça les dix-huit heures trente. Le

     

    film rétrospectif de tout ce que Mohamed avait enduré jusqu’à présent fut interrompu par le bruit soudain du moteur de

     

    l’half-track qu’on malmène et le grincement des chenilles qui secouèrent Mohamed comme le ferait une décharge électrique.

     

    Il dégoupilla l’engin de mort et bloqua le levier de déclenchement avec son pouce. Avec à son bord trois militaires

     

    et un tireur à la mitrailleuse 12/7, le véhicule arriva à sa hauteur. Comme un automate, Said, tremblant de tout son corps,

     

    s’avança comme un somnambule vers le char et lança la grenade qui tomba entre les militaires. Une formidable explosion

     

    se fit entendre et une fumée noire s’éleva de l’intérieur. Trois militaires, grièvement blessés, gisent sur le plancher du

     

    char. Le quatrième, quoique blessé, s’empara de la mitrailleuse 30 mm, la fait glisser sur les rails et tira une rafale à l’aveuglette.

     

    Le repli de Said fut empêché à la dernière seconde par deux harkis en tenue militaire qui dévalèrent la pente du

     

    village nègre.

     

    Il descendit alors en courant éperdument vers la mosquée Sidi Mohamed Ben Ahmed, son deuxième repli de rechange.

     

    Il devait escalader à droite de la mosquée unmonticule pour se retrouver en plein milieu du village nègre. Vers la liberté.

     

    Arrivé à la placette, il eut l’impression de buter contre un mur. Il s’arrêta net. Il commença à sentir les balles qui lui laçeraient

     

    le torse. Il eut la force de continuer sa course et au lieu de prendre le sentier vers le village nègre, il tourna à droite

     

    et tomba à genoux devant le magasin de chaussures de Menad, puis, délicatement, s’allongea sur le trottoir, le visage

     

    tourné vers la mosquée. Les yeux grands ouverts, vitreux. Les traits de son visage, un moment déformés par la douleur,

     

    se sont relâchés et ont été envahis par le repos éternel. Les balles de la mitrailleuse 30 ont eu largement raison de lui.Son

     

    compagnon, Abdelkader eut la chance de dévaler le Boulevard de Taza en rasant le mur. Il recut une balle qui lui perca

     

    la main. Il eut le temps de se réfugier dans l’écurie publique du boulevard.

     

    Ce dernier s’est vidé subitement et les hirondelles se sont enfuies emportant avec eux leurs crissements.

     

    Mais les hirondelles reviendront demain.

     

    « Le lendemain, nous devions récupérer le corps de mon frère. Le tricot de peau, acheté la veille par Mohamed, était criblé

     

    de balles. Il y avait au moins dix trous » Témoigne son frère Said

     

    .Par Mohamed Rachid YAHIAOUI


  • Commentaires

    1
    LOUANCHI
    Samedi 2 Mars 2013 à 12:22

    HARKIS LES CAMPS  DE LA HONTE : HOCINE...DAILYMONTION.

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